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La flamme


En 1995, pendant la grève des transports, je suis partie, seule, rejoindre une manifestation, la parcourant à toute vitesse, dans un sens puis dans l’autre. Ce jour là, sans que je puisse précisément le dater, un moment a profondément marqué ma mémoire au point de stopper ma marche. Tandis que devant un hôtel de luxe, un homme fumait un gros cigare, l’air rougi par les torches des cheminot.e.s s’est rempli des paroles de Téléphone "Je rêvais d’un autre monde". Des images familières de Jacques Demy me revinrent, mais là c’était réel, dans la rue. Cet instant lumineux m’est revenu, intacte, le 12 décembre 2019. Au coeur d’un cortège dont la chaleur m’a de nouveau enivré par sa puissance. À la différence des fumigènes, la torche à flamme rouge, utilisée pour les cheminot.es en cas de grave danger sur la voie, m’est apparue comme la métaphore du grave danger sociale qui nous menaçait tou.te.s. Au contact de ce signal de détresse, les visages des manifestant.e.s brûlent et paradoxalement s’incarnent davantage dans leur beauté saisissante, celle qui m’a si souvent provoqué une immense joie, quasi enfantine, m’entrainant irrésistiblement dans la quête fébrile d’images, courant dans tous les sens pour ne rien rater. J’avais tout le temps peur que ça s’arrête, alors que j’étais dans la rue depuis le 19 janvier 2019, avec les Gilets Jaunes. C’est la raison pour laquelle, cette série commence par l’appel d’une femme Gilets Jaunes. Lors d’une prise de parole, Nadia, conductrice de bus, a dit à quel point elle regrettait de ne pas les avoir rejoint en novembre 2018, "ils ont lancé le bal".